Reprise d'un chantier par une autre entreprise : Quelles sont les obligations du repreneur liées à la garantie décennale ?

Reprise d'un chantier par une autre entreprise :
Thèmes :
garantie décennale
Par Pauline TURGE Lu 6241 fois Publié le : 20/07/2023 Publié le : 20/07/2023


L'abandon de chantier par une entreprise du bâtiment n'est malheureusement pas un événement rare. Il arrive en effet fréquemment qu'un constructeur, pour diverses raisons, décide d'interrompre les travaux qui lui ont été confiés contractuellement. La Cour de cassation a rappelé à de multiples reprises qu'il incombe au maître d'ouvrage (MOA), professionnel comme particulier, de correctement appréhender un chantier abandonné et la succession d’entreprises, sous peine de se retrouver plus tard, en cas de survenance de malfaçons, sans possibilité de faire valoir la garantie décennale.

I - Qu'est-ce que la garantie décennale ?

La loi Spinetta du 4 janvier 1978 oblige le constructeur et le MOA à une obligation d’assurances : 

La loi met à la charge du MOA l’obligation de souscrire une assurance dommages-ouvrage (article L242-1 du Code des Assurances).

Quant au constructeur*, il est tenu de souscrire un contrat d’assurance de responsabilité civile décennale

(*)En vertu de l’article 1792-1 du Code civil

“Est réputé constructeur de l'ouvrage : 
1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ;
2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ;
3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage.”


La garantie décennale couvre les désordres affectant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination pendant une période de dix ans à compter de la réception de l’ouvrage (articles 1792 du Code civil et suivants). 

Elle s'applique à tous les acteurs de la construction, tels que les architectes, autoentrepreneurs, promoteurs immobiliers et artisans. En cas de sinistre relevant de cette couverture, la réparation des désordres incombe au constructeur. 


Pour en bénéficier, les conditions suivantes doivent être réunies: 

  1. Les travaux de nature décennale doivent avoir fait l’objet d’une réception. Celle-ci peut se faire de manière tacite, judiciaire ou expresse, par le biais d’un procès-verbal de réception des travauxqui sert également à faire valoir des dommages couverts par la garantie de parfait achèvement

  2. Le vice doit être caché : ne sont pris en compte que les vices de construction qui ne sont pas visibles pour un non-professionnel de la construction au moment de la réception de l'ouvrage

  3. Le ou les désordres doivent présenter une gravité particulière. Tel est le cas lorsque le désordre porte atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rend impropre à sa destination ; 

  4. Le dommage doit survenir dans un délai de 10 ans suivant la réception des travaux.

II - Quelles formalités doit accomplir l'entrepreneur qui reprend le chantier en termes de garantie décennale ?

Avant de reprendre un chantier abandonné, le nouveau constructeur doit effectuer certaines vérifications importantes pour assurer sa propre sécurité ainsi que celle du MOA.

1 - Mise en demeure par le MOA de l’entreprise qui n’a pas finalisé le chantier

Tout d'abord, le maître d'œuvre (MOE) repreneur s’assure que le client a bien mis en demeure le MOE initial qui n’a pas achevé le chantier. Cela implique de vérifier que le client a envoyé un courrier de mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, prouvant ainsi qu'il a entamé les démarches nécessaires. Dans l’hypothèse où le précédent MOE a abandonné le chantier pour des raisons financières, elle est généralement représentée par un administrateur judiciaire en cas de redressement ou un liquidateur en cas de liquidation judiciaire.

2 - Constat de l’abandon du chantier par un huissier de justice

Le nouveau professionnel s’assure ensuite qu'un huissier de justice a constaté l'interruption de chantier. C'est une étape essentielle sur le plan légal pour éviter que l'entreprise qui n’a pas achevé l’ouvrage commandé ne puisse revendiquer ultérieurement la propriété du chantier. 

Il est également conseillé au MOA de réaliser un décompte complet avec l'entrepreneur négligent afin de prévenir d'éventuelles difficultés pendant les travaux. Ce décompte permet également de fixer, à la date de l'abandon du chantier, les montants dus pour les travaux déjà effectués ainsi que les éventuelles pénalités applicables. Ce document peut également inclure des retenues pour dommages et intérêts ou malfaçons.

3 - Constat de l’état réel des travaux

Enfin, il est fortement recommandé au prestataire repreneur de documenter l’état réel des travaux au moment où elle reprend le chantier, afin de clarifier les responsabilités de chacun et de limiter les litiges potentiels. 

Si le client a dressé un constat des travaux non terminés avec l'intervenant défaillant, l'entreprise repreneuse en réclame une copie. Si aucun constat n’a été dressé ou si le constat existant est incorrect et ne correspond pas aux constatations du nouveau bâtisseur, il est possible d'effectuer un nouveau constat. Cet acte est réalisé en présence du MOA et couvre à la fois les travaux déjà exécutés et ceux qui restent à réaliser. Les deux parties signent alors le constat contradictoire des travaux. Dans certains cas, faire appel à un huissier de justice peut également constituer une mesure de sécurité supplémentaire.

III - Quels sont les recours disponibles en cas de malfaçons causées par le repreneur du chantier ?

En cas de malfaçons constatées sur les travaux réalisés par le repreneur du chantier, le MOA dispose de plusieurs recours: 

  1. Il peut, tout d’abord, adresser une mise en demeure formelle au repreneur du chantier, sollicitant la réparation des dommages dans les meilleurs délais ;

  2. Si la mise en demeure s’avère infructueuse, le poursuivant peut envisager une procédure amiable et faire appel à un médiateur ;

  3. En cas d’échec des tentatives de résolution amiable du litige, le poursuivant peut alors assigner l’organisation repreneuse en justice sur le fondement de la garantie décennale. Par une décision de justice, la Cour de cassation a retenu la responsabilité civile décennale de la société repreneuse, considérant que les travaux de reprise avaient été inefficaces et avaient aggravé les désordres initiaux. La Haute juridiction a estimé que le lien de causalité entre les désordres et les travaux réparatoires était bien établi (3ème Civ, 4 mars 2021, n° 19-25.702). 


De la lettre de mise en demeure amiable par un huissier de justice partenaire jusqu'à la saisine du Tribunal compétent. Litige.fr peut également vous mettre en relation avec un expert en bâtiment agréé par l'Etat pour faire constater des malfaçons.

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Article de Pauline TURGE
Juriste
Diplômée d'un Master 2 en Droit privé obtenu à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne.